Les aiguilles qui tournent autour de l’axe centrale de l’horloge symbolisent parfaitement la course du temps dans l’espace. Où vont-elles? Où pourraient-elles aller? Elles ne peuvent s’échapper de ce cadran dans lequel elles courent. Leur course, limitée au cadran, symbolise le changement incessant de la manifestation. Tant que je me prends pour quelqu’un de séparé, je fais comme une des aiguilles, je cours et cours encore, m’active et progresse,… en rond. Tout comme ce qui prend forme, se manifeste, évolue et involue, le fait au sein de la conscience et ne peut le faire que là. Ainsi font les aiguilles qui tournent autour de l’axe qui leur donne leur mouvement.
Le cadran, lui, est le contenant limité dans lequel ce changement se produit. Tout comme la bulle de conscience est le lieu limité de toute manifestation. L’horloge dans son ensemble est à la fois immuable et mouvement.
Tout ceci m’apparaît en tant que témoin ultime qui est hors du temps et de l’espace. En même temps que le temps et l’espace prennent place en moi.
Une horloge à quartz évoque aussi le même processus, mais en mettant en avant un autre aspect de ma manifestation. Dans ce cas, c’est l’aspect de pulsation qui est exprimé. Quand vient le moment de lâcher mon identité de ‘quelque chose’ qui se manifeste en apparence linéairement avec un avant, un présent et un après qui constituent une histoire, je vais pouvoir observer ‘mon’ Rien qui pulse en un Tout. Un Tout réinitialisé et renaissant à chaque instant, non plus linéairement, mais à la façon d’un point non matériel qui pulse, se déploie, et se résorbe en lui-même.
Tant que je suis à la périphérie de moi-même, je ne peux qu’être identifié aux changements, aux mouvements perpétuels. Ce n’est que en revenant en mon centre que se dévoile ma nature immuable qui me permet d’accéder en conscience à ce qui, Ici, est le témoin du temps. Ici qui ne peut être modifié par l’action du temps. Ici, témoin de l’apparition et de la dissolution du temps. C’est au sein de cette intemporalité que le temps peut prendre place – Ici. C’est au sein de cette spatialité que peut se refléter l’Ici.
Ce qui se manifeste au sein de la conscience est comparé dans certaines traditions, comme le Dzogchen, à un ornement de la conscience. C’est à dire un plus, un quelque chose qui se rajoute, mais qui peut ausssi aller éventuellement jusqu’à masquer. Mais ce plus, en aucun cas, n’a pas le pouvoir d’altérer le support qu’il recouvre, qu’il décore. Le monde manifesté est alors considéré comme l’ornement de la conscience pure, qui demeure sans qualité ou attribut.
Certains utilisent le terme de divertissement. (cf. Nisargadatta Maharaj). Dans la langue française, les homonymes ‘Je’ et ‘jeu’, nous invite à explorer plus particulièrement cet aspect.
Voir la conscience et sa manifestation, comme des divertissements en Soi, permet d’amener de la légéreté et de l’espace dans un retour à Soi rendu souvent plus difficile qu’il ne l’est par trop de sérieux et de gravité.
Une image contemporaine pour évoquer ce ‘Je-ux’, est l’exemple des jeux virtuels en ligne, et notamment ceux qui pour donner encore plus de réalité et d’implication, sont des jeux qui invite le joueur à vivre la situation du ‘héros’ à la première personne. C’est à dire en tant que ‘Je’. Les différentes scènes se vivent comme si elles étaient vécues réellement en tant que personnage interactif et participant de la scène. En fait pour vivre les mêmes sensations et perceptions que dans la ‘vraie vie’. Aujourd’hui dans ce même registre font leur apparition, des lunettes de réalité virtuelle !
Ce perfectionnement grandissant des moyens techniques de l’imagerie virtuelle, m’invite devant la dépendance souvent critiquée des adeptes jeunes ou moins jeunes à ce monde virtuel, à regarder ma propre dépendance face au Jeu du monde, face à ma propre mise en scène. L’attrait pour ces jeux fonctionne pareillement à l’attrait pour le jeu du monde. Le phénomène de dépendance repose sur ce même processus de dépendance de l’identification au jeu du monde, et à son héros le ‘Je’, qu’il soit individuel, ou universel. Le processus d’exister en tant que quelque chose et d’interagir est exactement le même. Le phénomène de dépendance est inhérent à l’apparition de la conscience.
Toutes les dépendances ne sont que des fractales de la dépendance première ‘Je suis’. Tout comme tout les ‘je’ sont des fractales de l’unique ‘Je’. On pourrait donc dire que la dépendance première est la dépendance d’être. Mais plus tôt que quelqu’un qui serait dépendant,( à ce stade d’ expression de la conscience manifestée, il n’y a pas de notion de personne), c’est en fait lié au simple fait que dès qu’il y a manifestation, dès qu’il y a être, l’énergie de perdurer est présente. La première des addictions, est celle d’être. L’être qui conscient de lui-même se poursuit, se veut durer que cela soit dans un aspect de création, de continuité ou de destruction.
Au stade de la conscience pure, sans identification, il n’y a pas encore d’attachement à une forme particulière d‘être, mais il y a déjà être et non-être. Il y a déjà quelque chose qui pourrait ne pas être, qui pourrait ne plus être. Quand le déploiement se fait à travers la conscience, et que d’unique, sans reflet, ‘je’ se voit et se perçoit multiple, l’énergie qui soutient et prend soin de cette manifestation, est toujours présente et joue alors un rôle de préservation de la forme. Quand chez l’être humain, cette manifestation et ses capacités se complexifient, cette énergie est toujours présente. Elle va se manifester alors par la peur de disparaître, autrement dit, la peur de mourir. Elle va être à l’origine de tout un ensemble de comportement qui n’ont pour seul objectif plus ou moins direct ou masqué d’apporter soin et préservation à ce sur quoi se focalise et s’identifie la conscience. La plupart du temps, cette identification se fait sur le corps physique,ou sur les opinions. En fait, elle se porte sur tout ce qui est considéré comme ‘je’ et comme possession de ce ‘je’.
Ce processus n’a donc rien de personnel. Il n’y a personne.
Ceci implique que rien ne sera jamais résolu à un niveau revendiqué comme individuel.
Le phénomène d’addiction quel qu’il soit peut être là, mais c’est son interprétation qui est faussée, il n’y a personne de dépendant, C’est juste à un niveau d’expression particulier que l’énergie de manifestation s’exprime sous cette forme. Ce qui en nous est à même de voir cela, est ce qui est libre de toute identification à ses multiples reflets.
La véritable liberté ne se trouve donc pas dans le simple fait d’être qui est déjà porteur de ce désir de se manifester et de jouer. A ce stade se trouvera la liberté vis à vis d’une identification à une forme figée, avec la peur qu’elle se modifie et disparaisse. Mais l’attrait pour le jeu lui-même dans son ensemble est toujours bien là. Comme l’enfant qui ne veut pas aller se coucher, parce qu’il sait que tout cela va disparaître. Là encore, ce phénomène doit être clairement vu, comme non personnel.
Le fait d’accepter que cela n’ait rien de personnel, me montre aussi que ce libre choix revendiqué par une identification à une personne est totalement illusoire, et que toutes les tensions et espérances reposent sur une erreur de conception.
La véritable tranquillité se trouve quand le retour à Soi se fait véritablement, c’est à dire pas uniquement à un niveau conceptuel, mais comme reconnaissance de ‘ma’ véritable nature. Une simple évidence. Il s’agit d’une présence à Soi avant toute manifestation, avant être ou ne pas être, avant tout image de Soi, de Dieu, du monde.
C’est alors la fin de toute notion d’au delà, d’après, d’espérance dans un devenir. Le désencombrement de la vision met en lumière le caractère relatif de toute quête, qu’elle se dise spirituelle, philosophique ou scientifique.
“à la façon d’un point non matériel qui pulse, se déploie, et se résorbe en lui-même.
Tant que je suis à la périphérie de moi-même, je ne peux qu’être identifié aux changements, aux mouvements perpétuels. Ce n’est que en revenant en mon centre que se dévoile ma nature immuable…” Ca m’évoque le Coeur… non-matériel… pulsation… au centre… Même si dire que “c’est le coeur”, c’est “faux”.
Merci pour ce partage Ji-Phi
Ce passage m’a secoué comme une évidence, et répond à une question que “je” me pose depuis “longtemps” : “La véritable liberté ne se trouve donc pas dans le simple fait d’être qui est déjà porteur de ce désir de se manifester et de jouer. A ce stade se trouvera la liberté vis à vis d’une identification à une forme figée, avec la peur qu’elle se modifie et disparaisse. Mais l’attrait pour le jeu lui-même dans son ensemble est toujours bien là. Comme l’enfant qui ne veut pas aller se coucher, parce qu’il sait que tout cela va disparaître. Là encore, ce phénomène doit être clairement vu, comme non personnel.”
Je l’emmène avec moi, et je l’oublie
Merci!
Merci, pour ce retour Tristan!
Oui ! A travers ces textes, une tentative de mettre en mot ce qui ne pourra jamais l’être réellement !
Dans les enseignements non- duels actuels, nombreux sont ceux qui s’arrêtent ( enseignants comme auditeurs) au ‘ Je Suis’, le je trouvant là un confort d’espace et d’immortalité où se cacher. Dans la voie des Navnath sampradaya, avec la quelle en tant qu’individu, j’ai une affinité toute particulière, et plus précisément avec l’enseignement de Nisargadatta maharaj, le jeu peut aller plus loin, et le ‘Je suis’ devient l’interface où tout à la fois le monde manifesté ( conscience ne mouvement) peut être perçu, mais aussi le Soi en tant qu’Absolu peut s’y refléter. Voici un très beau texte d’un des maîtres fondateurs de cette lignée. Le terme béatitude, traduisant ici un non état , plus qu’un état bien sûr, tout comme le ‘je’ , un prétexte à évoquer ce qui n’en et plus un non plus…. Ici ,le paradoxe est roi.
Ma Nature est Béatitude
Que tout ceci soit réel,
Que tout ceci soit irréel,
N’est pas pour moi un objet de pensée.
Ma nature est Béatitude, je suis libre.
Je ne perçois ni nuit ni jour,
Ni dehors ni dedans,
Et ni non plus de division intérieure.
Ma nature est Béatitude, je suis libre.
Conscience et inconscience n’ont pas pour moi d’existence,
La forme de la conscience je l’ignore.
Comment parler de conscience et d’inconscience.
Ma nature est Béatitude, je suis libre.
Je ne suis pas relié au juste. Je ne suis pas relié à l’injuste.
Je ne suis pas relié à la servitude. Je ne suis pas relié à la délivrance.
Etre relié ou être séparé, je l’ignore.
Ma nature est Béatitude, je suis libre.
Haut et bas n’ont jamais pour moi d’existence,
Je suis simplement au milieu, sans amis ni ennemis.
Comment parler alors et du bien et du mal.
Ma nature est Béatitude, je suis libre.
Avadhûta gîtâ,, texte du XII siècle attribué au sage indien Dattatreya